La résistance aux antibiotiques
Au cours du XXème siècle, les antibiotiques ont permis de diminuer considérablement la mortalité associée aux maladies infectieuses. Cependant, leur consommation massive a conduit à l'apparition massive de bactéries résistantes à ces médicaments. D'abord ponctuelles, ces résistances sont devenues préoccupantes et conduisent à la mise en œuvre de diverses stratégies pour éviter la situation d'impasse thérapeutique.
Tout d'abord, les antibiotiques sont des molécules naturellement synthétisées par des micro-organismes pour lutter contre des bactéries. Il existe plusieurs familles d'antibiotiques qui s'attaquent spécifiquement à une bactérie ou un groupe de bactéries. Certains antibiotiques vont agir sur des bactéries comme Escherichia Coli dans les voies digestives et urinaires, d'autres sur les pneumocoques ou sur Haemophilus influenzae dans les voies respiratoires, d'autres encore sur les staphylocoques ou les streptocoques présents au niveau de la peau ou de la sphère ORL. Les antibiotiques ne sont efficaces que sur les bactéries et n'ont aucun effet sur les champignons et les virus. Ils bloquent la croissance des bactéries en inhibant la synthèse de leur paroi, de leur matériel génétique (ADN ou ARN), de protéines qui leur sont essentielles, ou encore en bloquant certaines voies de leur métabolisme. Pour cela, ils se fixent sur des cibles spécifiques.
Comment repérer les bactéries sensibles aux antibiotiques ? Il faut pour cela réaliser un antibiogramme.
A
B
Ci-contre, nous pouvons observer deux souches de bactéries avec, disposé en leur centre, un échantillon d'antibiotique qui est le même pour les deux souches. On remarque que l'antibiotique est efficace pour la souche A contrairement à la souche B où le diamètre d'inhibition est nul.
L'efficacité remarquable des antibiotiques a conduit à leur utilisation massive et répétée. Suite à cela, les bactéries ont développé des systèmes de défenses contre les antibiotiques qui ont conduit à l'apparition de résistances. Chez les bactéries, la résistance est naturelle (programmée sur le génome bactérien) ou acquise (consécutives à des modifications de l'équipement génétique chromosomique ou plasmidique).
Les bactéries naturellement résistantes sont « normales » ou « sauvages » et l'antibiotique n'est pas actif. A l'état normal, il existe donc des bactéries résistantes aux antibiotiques dans notre organisme. Elles ne représentent qu'un petit nombre parmi les milliards de bactéries de notre organisme. Quel que soit l'antibiotique, on trouvera toujours des bactéries qui lui sont naturellement résistantes alors que d'autres y seront sensibles. C'est ce qui définit le spectre d'activité des antibiotiques. Aucun antibiotique n'est actif sur toutes les bactéries.
La résistance acquise résulte d'une modification du capital génétique permettant à une bactérie de tolérer une concentration d'antibiotique plus élevée que celle qui inhibe les souches sensibles de la même espèce. Les bactéries peuvent acquérir leur résistance à 2 niveaux :
- La résistance chromosomique résulte d'une mutation au niveau du chromosome dont elle en présente tous les caractères :
- Rareté : Une mutation toutes les 105 à 1010 divisions
- Hasard : L'antibiotique ne provoque pas la mutation qui se produit au hasard. Il se contente de révéler et de sélectionner les bactéries mutantes.
- Spécificité : Une mutation n'affecte qu'un caractère et souvent la résistance ne concerne qu'un antibiotique ou qu'une famille d'antibiotiques ayant le même mode d'action.
- Indépendance : La probabilité de deux mutations simultanées est égale au produit du taux des mutations et elle est donc très faible.
- Transmissibilité : Une mutation résulte de la modification d'un gène, elle est permanente et elle a un caractère héréditaire (transmission sur un mode vertical de bactérie mère à bactéries filles).
- La résistance plasmidique est liée à la synthèse de protéines additionnelles et non à une modification des constituants normaux de la bactérie. En effet, de nombreuses bactéries possèdent en plus de leur chromosome des portions d'ADN circulaire de petite taille appelés plasmides. Ces plasmides de résistance peuvent être transférés d'une bactérie à une autre par conjugaison (méthode non sexuée utilisée par les bactéries afin de s'échanger des informations génétiques, voir schéma ci-dessous). Ces transferts sur un mode horizontal sont à l'origine d'une dissémination très importante de la résistance au sein des populations bactériennes et par conjugaisons successives, les bactéries peuvent alors devenir résistantes à plusieurs antibiotiques. On parle de souche bactérienne multi résistante si les bactéries sont capables de résister à plus de 3 antibiotiques différents.
SCHEMA DE CONJUGAISON BACTERIENNE
Les infections nosocomiales et les traitements antibiotiques utilisés pour les traiter, l'utilisation d'antibiotiques à usage agricole, les résidus d'antibiotiques présents dans le milieu, éliminent toutes les bactéries qui ne sont pas résistantes. Les bactéries résistantes peuvent alors se multiplier sans aucune concurrence. L'apparition de nouvelles souches multi résistantes fait craindre de ne plus pouvoir traiter certaines infections bactériennes. En effet, il faut une dizaine d'années pour concevoir de nouveaux antibiotiques spécifiques de certaines souches bactériennes. Les campagnes de préventions à répétition, la sensibilisation des personnes du milieu médical sont indispensables pour limiter l'utilisation abusive d'antibiotiques et limiter ainsi la pression de sélection exercée sur les bactéries. Grâce aux campagnes de préventions, la consommation d'antibiotiques a chuté de 16 % entre 2000 et 2009. La France reste cependant dans les plus gros consommateurs d'antibiotiques et la consommation a augmenté depuis 2009.
Quant aux animaux ? Au moins 50 % des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux. Aux Etats-Unis, ces médicaments sont utilisés de façon systématique comme facteurs de croissance, une pratique interdite en Europe depuis 2006. Or, comme chez l'Homme, la surconsommation d'antibiotiques dans les élevages est responsable de l'apparition de résistances. Les bactéries multi-résistantes issues des élevages peuvent se transmettre à l'Homme directement ou via la chaîne alimentaire.
Un phénomène mondial. Ces phénomènes de résistance surviennent dans tous les pays du monde et sont particulièrement importants dans les pays où les niveaux d'hygiène sont faibles. Il existe une différence nord-sud, avec des taux plus faibles dans les pays du Nord. Ces différences résultent notamment de stratégies de prévention de la transmission et de l'importation de bactéries résistantes, ainsi que de stratégies de maîtrise de la consommation d'antibiotiques plus ou moins précoces et strictes.
De nouvelles voies thérapeutiques. Des chercheurs tentent de développer des thérapies « anti virulence ». L'objectif n'est plus de tuer la bactérie responsable de l'infection, mais de bloquer les systèmes qui la rendent pathogène pour l'Homme. Des antitoxines dirigées contre certaines toxines bactériennes sont à l'étude, ainsi qu'une molécule permettant de bloquer la cible du mécanisme de virulence du méningocoque. Toutefois, l'utilisation de ces produits est encore en phase expérimentale. La phagothérapie est une autre voie intéressante, mais dans laquelle tout reste à faire. Elle consiste à éliminer les bactéries grâce à des phages. Ces derniers sont des virus qui infectent spécifiquement certaines bactéries, s'y reproduisent puis les détruisent en libérant les nouveaux phages produits. Cette spécificité permet d'éliminer les bactéries pathogènes sans affecter les autres, contrairement aux antibiotiques à spectre large qui sont couramment utilisés.
Ainsi, les bactéries deviennent de plus en plus résistantes aux antibiotiques et il est nécessaire de trouver une alternative afin d'éviter la situation d'impasse thérapeutique. Cette résistance aux antibiotiques va être un des facteurs de l'émergence de nouvelles maladies.